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Quand
est-ce qu'on arrive ? 2000, éditions de l'Olivier (Seuil)
Il y a des gens qui ne
tiennent pas en place. Bet, par exemple.
Serveuse à mi-temps dans une pizzeria, représentante en
produits de beauté, vendeuse dans une bijouterie à Las
Vegas, actuellement gérante de supérette à Traverse
City (Michigan), le genre de blonde dont tous les hommes
sont fous. L'un des derniers en date, Teddy, est le père
de sa fille, Patience. Le problème, c'est que Bet se
pense incapable d'être une bonne mère. Et que son coeur
se déchire quand elle revoit Patience. Alors que faire?
Bet nous raconte son histoire. Ce qui s'est passé et ce
qui se passe. Les nouveaux amants et ses vieilles copines.
Son patron, son frère qui est mort du sida. On finit par
apprendre ce qui lui est vraiment arrivé, et pourquoi
elle est ici.
Et, peut-être, ce qu'elle va faire après.
Une fois de plus, Howard Buten nous kidnappe pour nous
entraîner dans son monde à lui. Un monde où une gérante
de supermarché peut ressembler à une vedette de cinéma,
où les petites filles sont plus sérieuses que leurs
parents et où il ne faut jamais, jamais, montrer ses
sentiments, sous peine de mort.
C'est le mec des produits laitiers qui m'a parlé du
tournage. Lui-même en avait entendu parler par son frère,
qui travaille à la mairie, il est aux services
culturels, c'est lui qui décide qui jouera dans le
kiosque. Le frère du mec des produits laitiers a parlé
du tournage au mec des produits laitiers. Et maintenant
le mec des produits laitiers m'en parle.
- Les extérieurs, dit-il.
- Quoi ?
- Seulement les extérieurs. Ils ont déjà tourné les
intérieurs à Hollywood ; mais ils viennent ici tourner
les extérieurs. C'est ici que c'est censé se passer.
- Que quoi est censé se passer ?
La langue contre les dents, il aspire sa salive pour
produire un bruit de succion.
- Leur film, dit-il. Ils peuvent pas tricher, pour les
extérieurs.
Ce suçotement des dents, c'est un truc pour lequel j'ai
des sentiments ambivalents, dans les relations
interpersonnelles. Un truc de mec. Il y en a à qui ça
va (paradigme viril, évocateur du mec qui prend son
temps et qui est habile de ses mains), il y en a chez qui
c'est gerbant (la question, c'est le goût que ça peut
bien avoir).
- Même avec les images virtuelles ?
- Non, ça se voit toujours.
- Pas pour moi. Moi, je vois jamais. Pendant des années,
j'ai cru que Robert Redford existait, par exemple. Pareil
pour mon ex-mari.
- Vraiment ? (Le prolétariat ! je vous jure, toujours prêts
à croire n'importe quoi. Il me regarde comme pour dire Gulp !)
Ils viennent pour filmer la baie. On peut pas faire une
baie virtuelle !
- Bon, bon, très bien. Comme s'il restait un seul atome
au monde qui ne soit pas déjà devenu virtuel. Moi-même,
je suis virtuelle.
Sa tronche s'allonge, pend là comme une chaussette. Et
de pendre, et de pendre. je suis sur le point de m'inquiéter
(épilepsie ?) quand elle s'épanouit en un sourire. Le
sourire révèle ses dents. Nuance teck. Et il suce ça.
J'aurais préféré l'épilepsie.
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